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-Comment voulez-vous, continuai-je, que je ne sois pas inquiet de ce que dira ce législateur qu’a toujours été celui qu’on nomme le public, quand il verra qu’après tout le temps que j’ai passé à dormir dans le silence de l’oubli je reviens, chargé d’ans, pour lui offrir un livre sec comme de la paille, pauvre d’invention, dénué de style, médiocre en jeux d’esprit, dépourvu d’érudition et d’enseignements, sans annotations en marge ni commentaires à la fin ? Aujourd’hui, on voit des ouvrages, même des fables inventées et profanes, si remplis de maximes d’Aristote, de Platon et toute la bande de philosophes, que les lecteurs, admiratifs, ne doutent pas que leurs auteurs ne soient des hommes de grand savoir. Et quand ces auteurs se mêlent de citer les Saintes Ecritures, n’en parlons pas : on dirait que ce sont des saints Thomas et autres docteurs de l’Eglise ! Et comme ils s’arrangent pour respecter la bienséance ! Après avoir dépeint un amant licencieux, une ligne plus loin ils vous offrent un beau petit sermon, si chrétien que c’est un vrai bonheur de l’entendre ou de le lire.« Eh bien, dans mon livre, il n’y aura rien de tout cela. Car je n’ai pas d’annotations à mettre en marge, pas de commentaires à placer à la fin, et je serais bien incapable de dire quels auteurs j’ai suivis, et donc de les citer, comme le font tous les autres, au début de leurs livres et par ordre alphabétique : en commençant par Aristote et en finissant par Xénophon, ou même par Zoïle ou Zeuxis, bien que l’un fût un médisant et l’autre un peintre.